Une affaire de corruption dans la magistrature : juge des tutelles
"Attendu cependant que les relations d’intimité notoire qu’un juge des tutelles entretient avec un gérant de tutelle alors qu’il est chargé, dans l’intérêt des majeurs protégés, de le désigner, de fixer sa rémunération et de contrôler strictement sa gestion, sont de nature à faire suspecter gravement son indépendance et son impartialité lorsqu’il lui accorde systématiquement des émoluments abusifs ;
Attendu que Mme X, juge d’instance à V, fit inscrire en 1993 sur les listes de gérants de tutelle M. Y, avec lequel elle vivait depuis plusieurs mois ; qu’elle le protégea d’interventions des chefs du tribunal de grande instance ; qu’elle suggéra à d’autres juges des tutelles de le commettre notamment en présence d’un patrimoine d’une certaine consistance, que lorsqu’il fit l’objet, en janvier 1997, d’une procédure pénale, manquant à la délicatesse, elle prit sa défense auprès de collègues en charge du dossier ;
Attendu que pour garantir à M. Y les ressources nécessaires à l’exercice d’une activité de plus en plus développée, devenue éminemment rentable, elle choisit de lui confier prioritairement des tutelles d’État plus rémunératrices ainsi que, de préférence à une association également inscrite sur les listes, celles concernant les personnes les plus fortunées ; qu’elle consentit systématiquement des dépassements anormaux d’honoraires ; qu’elle l’autorisa même à prélever des sommes par anticipation sur des émoluments éventuels ;
Attendu que Mme X a ainsi manifestement et pendant plusieurs années manqué aux devoirs de son état et ce d’autant plus gravement qu’elle avait en charge les intérêts de majeurs protégés qu’elle a subordonnés à ceux de son concubin ; que ce comportement, contraire à l’honneur, justifie la révocation de l’intéressée ;
Par ces motifs,
Vu les articles 43 et 45, 7°, de l’ordonnance du 22 décembre 1958,
Prononce la révocation sans suspension des droits à pension de Mme X."
" Détournements d’assurances-vie, pratique courante de comptes-pivots, mise sous tutelle abusive... En France, près d'un million de personnes sont placées sous protection juridique (tutelle, curatelle ou mesure de sauvegarde judiciaire). Un chiffre en constante progression. Or, les négligences, les escroqueries, les abus sont là aussi de plus en plus fréquents.
Un tuteur a quasiment tous les pouvoirs, explique Valérie Labrousse, auteure du livre Les Dépossédés, enquête sur la mafia des tutelles. Il gère l’argent de poche de son protégé, ses moyens de paiement, paye ses factures d’électricité, son loyer ou sa maison de retraite, gère son patrimoine et peut même vendre sa maison.
Parmi les dysfonctionnements du système des tutelles, on dénombre de nombreux cas de négligences de la part des tuteurs. Certains "oublient" par exemple de donner de l’argent de poche à la personne placée sous leur protection, ou estiment qu’elle n’en a pas besoin, parce qu’elle vit dans une maison de retraite. Sans argent, ces personnes ne peuvent plus se payer leur abonnement à leur revue préférée, ou s’acheter à manger pour celles qui habitent encore chez elle.
La journaliste Valérie Labrousse a découvert "un réseau immense d'évasion de meubles de majeurs protégés en Normandie".
Un hôpital bénéficiaire d'une assurance-vie
Jérôme Brugère président de l'Aidab, association d’information et de défense des assurés et des bénéficiaires, s'occupe de nombreux cas de spoliation. L'un d'entre eux l’a particulièrement marqué : "Deux enfants se sont manifestés parce qu'ils n'avaient perçus aucun centime suite au décès de leur père." Après enquête, Jérôme Brugère constate que le père a fait un séjour à l'hôpital psychiatrique, lequel avait fait le choix, pour lui avantageux, de se mettre bénéficiaire des contrats. Plus grave, encore, selon le juge : l'assureur avait accepté le bénéfice du contrat. C’est-à-dire qu'en acceptant le contrat, il était devenu impossible de modifier la clause bénéficiaire pour une tierce personne. En l’occurrence, les deux enfants.
les personnes sous tutelle peuvent difficilement contester leur tuteur, du fait de son pouvoir de gestion de leur argent. "Comment faites-vous pour demander à votre tuteur de vous permettre de payer un avocat qui devrait porter plainte contre lui, s'interroge la journaliste Valérie Labrousse. Idem si vous voulez bénéficier de l’aide juridictionnelle : c'est le tuteur qui détient les papiers nécessaires à la constitution du dossier pour désigner un avocat.""
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